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A Aix-en-Provence, la « Madama Butterfly » mortifère et ritualisée d’Andrea Breth

Trois coups de gong, l’intérieur d’une maison traditionnelle japonaise, un tapis roulant périphérique apportant sur un plateau des geishas : il n’en faut pas plus pour camper le décor de Madama Butterfly alors que le Festival d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) célèbre le centenaire de la mort de Puccini, au Théâtre de l’Archevêché. Le regard de la metteuse en scène, Andrea Breth, est morne et muséal, qui déroule à l’aide d’images à la poétique convenue l’histoire tragique de Cio-Cio San, la petite Japonaise victime du colonialisme et du patriarcat. Après avoir été épousée par convention par le fringant officier de marine Pinkerton, la « jolie poupée » sera abandonnée par le « Yankee voyageur », qui s’est marié en Amérique. Privée de son fils aux yeux bleus et aux cheveux blonds, la geisha, reniée par les siens, n’aura d’autre choix que le suicide d’honneur.
Andrea Breth, dont le travail surprend par sa stricte obédience littérale, a ritualisé avec lenteur le décor dramaturgique, clair-obscur peuplé du ballet des lanternes lumineuses, d’hommes et de femmes en habit traditionnel, où passe le vol immobile des grues maniées par des marionnettistes, des figures typiques de la culture japonaise. Seules des figures masquées de théâtre kabuki, face blanche au regard vide, s’interposent et témoignent du terrible destin qui, inexorablement, ira à son terme. Ce hiératisme scénique s’oppose naturellement à la musique passionnelle de Puccini, défendu par la soprano albanaise Ermonela Jaho, l’une des plus belles Butterfly actuelles.
D’une beauté, d’une grâce et d’une sensibilité infinies, la musicienne impose un personnage fragile, tendre et touchant, servi par un chant nuancé, un timbre pur et soyeux, un legato sublime et des aigus filés, à l’instar d’une calligraphie. La voix n’a pas une puissance énorme, mais sa projection passe aisément la rampe, défiant les abîmes d’une scénographie épurée. La chanteuse sortira épuisée, au bord des larmes, de ce rôle harassant qui lui vaut les longs vivats du public.
Acclamations méritées aussi pour le Sharpless, tout de noblesse et de compassion, de Lionel Lhote, sans conteste le seul personnage masculin bienveillant. La voix est homogène, magnifiquement projetée, la ligne de chant élégante et contrastée. A ses côtés, le Pinkerton d’Adam Smith, nouveau ténor britannique dont le nom est sur toutes les lèvres, déçoit. Non pas à cause d’une vocalité impérieuse de chien fou, manquant de nuances, mais parce que ses aigus claironnants aux attaques imprécises malmènent le phrasé puccinien. La mezzo japonaise Mihoko Fujimura est une Suzuki à la voix de bronze, presque inquiétante dans son intensité sauvage.
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